1 100 euros par mois. C’est le montant moyen que touche un ancien exploitant agricole à la retraite, dans l’un des pays les plus développés du monde. Très loin de la moyenne nationale. Les revalorisations tant attendues, promises à grands renforts de discours, se heurtent à des conditions d’accès restrictives et à des carrières souvent hachées.
Les filets de solidarité, censés réduire l’écart, abandonnent beaucoup trop d’agriculteurs retraités sous le seuil de pauvreté. Entre annonces publiques et réalité des virements, un gouffre demeure. Et le sentiment d’injustice ne fait que grandir dans les campagnes françaises.
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Pourquoi les retraites agricoles restent parmi les plus faibles en France
Le système de retraite agricole ne ressemble à aucun autre. Il porte les stigmates de décennies où la cotisation était faible, et où la priorité n’a jamais été la protection sociale des travailleurs de la terre. Que l’on soit exploitant ou salarié agricole, on cotise à la Mutualité Sociale Agricole (MSA) : une caisse indépendante qui pilote la retraite de base et la complémentaire des non-salariés. Mais ici, le calcul part d’assiettes de cotisations longtemps maintenues au ras du sol. Résultat : des pensions qui peinent à décoller.
Voici quelques repères pour mesurer l’ampleur du problème :
- En 2022, la pension moyenne pour un ancien non-salarié agricole s’arrêtait à 1 150 € par mois (carrière complète).
- Pour un ancien salarié agricole, la moyenne était de 1 128 € mensuels.
- La pension forfaitaire des exploitants principaux en 2024 plafonne à 311,56 € mensuels.
La pension proportionnelle, elle, dépend du nombre de points engrangés au fil des années et de leur valeur (4,264 € en 2024). Même en additionnant la pension forfaitaire, la pension de base totale ne dépassera pas 1 833 € par mois cette année. Beaucoup d’agriculteurs retraités doivent donc recourir au minimum vieillesse (Aspa), fixé à 1 012,02 € pour une personne seule en 2024.
La réforme de 2021 avait affiché l’ambition de garantir une pension minimale équivalente à 85 % du Smic net, mais uniquement pour ceux ayant une carrière complète. Or, la majorité des ménages agricoles ne remplissent pas cette condition. Les dispositifs de solidarité tentent de limiter la casse, mais l’écart avec le niveau de vie médian reste immense.
Entre précarité et inégalités : le quotidien des agriculteurs retraités
Pour beaucoup, la retraite agricole se conjugue avec fragilité et insécurité. Les chiffres le confirment sans détour : une grande partie des anciens exploitants, conjoints collaborateurs ou aides familiaux doit composer avec des ressources sous le seuil de pauvreté. Pour eux, le minimum vieillesse (Aspa), 1 012,02 € pour une personne seule en 2024, devient souvent la seule planche de salut.
Le phénomène des polypensionnés accentue encore la complexité. En 2019, plus de 94 % des salariés agricoles et 91 % des non-salariés agricoles percevaient des pensions issues de plusieurs régimes. Cela compense des parcours professionnels morcelés, mais additionner de petites retraites ne garantit jamais un confort financier. Au contraire, le niveau de vie médian des ménages agricoles retraités se maintient sous celui de l’ensemble des retraités du pays, et le taux de pauvreté inquiète toujours plus.
Les disparités internes sont réelles, comme en témoignent les profils suivants :
- Le chef d’exploitation qui a transmis son outil de travail,
- le conjoint collaborateur qui n’a jamais pu cotiser à taux plein,
- l’aide familial resté longtemps invisible pour l’administration.
Chacun affronte ses difficultés : faiblesse des revenus, manque de reconnaissance, dépendance aux aides. Pour beaucoup, la retraite ne rime pas avec repos, mais avec inquiétude, sentiment d’oubli, voire humiliation. Et la France des campagnes continue de voir le fossé se creuser avec le reste de la société.
Quels facteurs expliquent la faiblesse persistante des pensions agricoles ?
Le système s’articule autour de deux piliers : la pension forfaitaire et la pension proportionnelle. Un exploitant principal reçoit, au mieux, 311,56 € par mois en 2024 au titre du forfait. Pour la proportionnelle, tout dépend du nombre de points accumulés sur la carrière, chaque point équivalant à 4,264 € cette année. Mais pour obtenir une pension complète, il faut avoir validé tous ses trimestres et n’avoir connu aucune rupture. C’est loin d’être la règle dans ce métier.
La faiblesse chronique des revenus d’activité explique beaucoup. Les ménages agricoles n’ont jamais affiché un revenu disponible moyen comparable à celui des autres secteurs. Faibles marges, cours instables, dépendance aux soutiens publics : impossible dans ces conditions de cotiser assez pour espérer une retraite confortable. Même après la réforme de 2021, censée garantir 85 % du SMIC net pour une carrière complète, la plupart restent loin du compte.
La complexité institutionnelle n’aide pas. La Mutualité Sociale Agricole (MSA) assure la retraite de base, mais les salariés agricoles touchent aussi la complémentaire Agirc-Arrco. Les carrières hachées, les changements de statut, la polypension brouillent les cartes. La loi du 13 février 2023 prévoit un calcul sur les 25 meilleures années d’ici 2026, mais cette avancée prendra du temps pour produire des effets concrets.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2022, la pension moyenne d’un ancien non-salarié agricole, pour une carrière complète, atteignait 1 150 € par mois ; celle d’un ancien salarié agricole, 1 128 €. Et la pension de base totale ne peut franchir le plafond de 1 833 € mensuels cette année. Dans la vraie vie, la plupart des retraités agricoles vivent avec beaucoup moins, souvent complété par le minimum vieillesse (Aspa).
Des pistes pour une retraite agricole plus juste et plus digne
Le débat sur la revalorisation des pensions agricoles ne faiblit pas. La FNSEA et d’autres syndicats multiplient les appels à l’action. L’enjeu : permettre enfin aux agriculteurs en retraite de vivre dignement. La nouvelle loi du 13 février 2023 marque un premier pas : calcul de la retraite de base sur les 25 meilleures années, rapprochement du taux de cotisation vieillesse avec le régime général. Des avancées attendues depuis longtemps, qui mettront du temps à changer la donne. L’écart reste immense avec les autres régimes.
Voici quelques leviers envisagés par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et le gouvernement :
- Augmenter le minimum vieillesse (Aspa) pour les anciens exploitants afin de limiter la pauvreté monétaire.
- Aligner le calcul de la retraite complémentaire sur les standards des autres régimes.
- Mieux prendre en compte les faibles cotisations ou les carrières discontinues dans le calcul de la pension.
La PAC pourrait aussi jouer un rôle, en orientant une part des aides européennes vers les retraités agricoles. Jean-Claude Chalencon, administrateur de la FNSEA, interpelle le gouvernement sur l’urgence d’impliquer la solidarité européenne pour accompagner le vieillissement rural. Quant à l’Assemblée nationale, elle multiplie les propositions pour rendre le régime plus transparent, plus équitable, moins discriminant. Reste la question du financement : chaque avancée devra franchir l’obstacle budgétaire. Mais face à l’urgence, l’immobilisme n’est plus une option.
Dans les campagnes, la question ne se limite plus à des chiffres froids : elle touche à la dignité, à la reconnaissance, à la capacité de vieillir sereinement après avoir nourri le pays. Les regards se tournent désormais vers ceux qui écrivent la loi. Fin de partie pour le statu quo.
